Cours d'éducation sexuelle en primaire : qu'apprend-on (vraiment) aux enfants ?

par Claire CAMBIER
Publié le 30 août 2018 à 16h59, mis à jour le 29 août 2019 à 13h07
Cours d'éducation sexuelle en primaire : qu'apprend-on (vraiment) aux enfants ?
Source : AFP / NE PAS UTILISER

ZIZI SEXUEL - Parents, rassurez-vous, votre enfant n'apprendra pas à se masturber en maternelle. Les cours d'éducation sexuelle existent cependant bel et bien, dès la primaire. Alors qu'apprend-on réellement aux enfants du CP au CM2 ? LCI a posé la question aux intervenants en charge de cet enseignement.

Dès que l'on appose enfants et sexualité, de nombreux parents bondissent. "Il y a une panique morale", reconnait Diane Saint-Réquier, auteure du blog Sexy SouciS. "Certains parents se disent  'oh mon dieu, qu’est-ce qu’on va dire aux enfants'?, 'ce n’est pas le rôle de l’Education Nationale'." Comme à chaque fois que cette thématique ressort, il court de folles rumeurs. Ces derniers jours, de fausses informations sont devenues virales, de l'apprentissage de la masturbation dès 4 ans à la légalisation de la pédophilie. Des intoxs démenties par la secrétaire d'État à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Mais alors, qu'apprend-on réellement aux enfants à l'école, avant 12 ans ?

Pour bien comprendre, commençons par ce que dit la loi. Si l'éducation sexuelle a été introduit à l'école en 1973 (à l'époque un enseignement facultatif et cantonné aux lycées sur la contraception et les maladies vénériennes), elle est aujourd'hui encadrée par un article du code de l'éducation daté du 4 juillet 2001. On y apprend qu'une "information et une éducation à la sexualité" doit être dispensée du primaire au lycée – et non en maternelle - "à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène". Quant au contenu, le texte parle d'"apprentissage du respect dû au corps humain". Un terme un peu flou on vous l'accorde, nous voilà bien avancés. Ces "cours" sont en général délivrés par des intervenants extérieurs issus d'associations agréées par le ministère de la Santé. Nous leur avons donc posé directement la question.

On part des questions des élèves, on ne vient pas avec des enseignements préparés en avance.
Héloïse Galili, animatrice au Planning familiale de Paris

Tout d'abord, il faut savoir qu'il n'existe pas de programme en soi. "On part des questions des élèves, on ne vient pas avec des enseignements préparés en avance", avertit Héloïse Galili, animatrice au Planning familial de Paris. "Si on arrive avec un programme déjà établi, on risque de passer à côté de ce qui intéresse vraiment les élèves." 

Et ce qui les intéresse est bien loin de la masturbation ou des relations sexuelles. "Ce qui ressort est finalement lié à la vie en société, les questions sexuelles émergent peu en primaire. Ça ne les intéresse pas tant que ça", rapporte l'intervenante. "Il y a plutôt beaucoup de questions sur les stéréotypes sexistes, ce que les filles ont le droit de faire, ce que les garçons ont le droit de faire, ce qu'ils ont droit de porter comme vêtement". 

Il ne s’agit pas d’apprendre la masturbation à des gamins de 6 ans, l’idée c’est bien de travailler sur l’image de soi, le rapport à l’autre, sur les rapports de genre.
Diane Saint-Réquier, chroniqueuse sur Slash

Diane Saint-Réquier est bien d'accord. "Dans 99% des cas, les tout-petits ne se posent pas des questions sur la sexualité mais sur les rapports entre les filles et les garçons." Leur apporter des réponses dès le plus jeune âge est, selon elle, primordiale pour déconstruire les stéréotypes. "En commençant tôt, dès la primaire, on se donne plus de chances. Bien évidemment il ne s’agit pas d’apprendre la masturbation à des gamins de 6 ans, l’idée c’est bien de travailler sur l’image de soi, le rapport à l’autre, sur les rapports de genre. C’est déjà très présent, même en primaire : qui joue à quoi ? À qui est l’espace dans la cour de récréation ?"

"Selon les géographes sociaux, (cette cour de récré) est investie à 80% par les garçons", avance Emmanuelle Piquet , auteure de l'ouvrage Je me défends du sexisme (ed. Albin Michel).  "Quand on demande à une petite fille comment elle fait quand elle traverse la cour, elle explique qu’elle fait le tour, car elle risque de se faire bousculer par les garçons, qui eux passent en diagonale et font, souvent sans le vouloir, comme si elle n’était pas là.", rapporte-t-elle à nos confrères de Vousnousils. "Certaines ont intériorisé le sexisme et le perçoivent comme 'normal'."

"Une fille qui s'habille sexy, c'est pour provoquer les garçons"

Un sexisme qui, évidemment, se renforce au fils des années. Diane Saint-Réquier se rappelle d'une intervention en lycée, face à des élèves de 15/16 ans, un âge où "les schémas de pensée sont très installés".  Des affirmations étaient présentées aux élèves qui devaient réagir sur le sujet. Quand la carte "Une fille qui s'habille sexy, c'est pour provoquer les garçons" est sortie, il y a eu une "adhésion à cette croyance très forte et de la part des garçons et de la part des filles", regrette cette ancienne animatrice de l'association Solidarité Sida. 

Pour faire bouger les choses, la solution semble effectivement évidente : travailler ces questions dès le plus jeune âge, même si elle le reconnait, "ça reste une goutte d'eau dans l'océan parce que ce discours ne sera pas forcément relayé par l'environnement familial, médiatique, sociétal." C'est aussi ce que souligne Héloïse Galili. "Si le professeur d'EPS fait une tirade sexiste en cours et que, nous, on arrive en disant que les filles sont aussi puissantes que les garçons, qu'elles peuvent faire ce qu'elles souhaitent, ça ne peut pas fonctionner."

"Poils autour du pénis" ou l'apprentissage de la puberté

Limiter l'éducation à la vie affective et sexuelle en primaire à la déconstruction des stéréotypes sexistes serait toutefois réducteur. À l'école du Centre André Davesnne à Périgeux, des élèves de CM2 parlent avec leur institutrice et une intervenante du Planning Familial de "poils autour du pénis", de "pubis". "Ce sont des mots qui peuvent sembler surprenants quand on les utilise à l'école primaire", reconnaît la présidente du planning familial de Dordogne auprès de nos confrères des Maternelles "mais ce sont des mots de la langue française qui veulent dire ce qu'ils veulent dire." Et ces informations sur la puberté sont bien perçues des élèves. "C'est important qu'on nous en parle parce que de toute façon on l'aurait bien su un jour et au moins on sait ce qu'il va se passer pendant l'adolescence ou pas", se félicite l'un d'entre eux. 

La notion du consentement

On y apprend aussi la différence entre un enfant qui est amoureux et un adulte qui l'est ou encore à prendre conscience des rapports de domination. Car la question du consentement est également un des "enseignements" clé de l'éducation à la vie affective et sexuelle. "On se touche beaucoup à l'école, on touche les cheveux de sa camarade, 'est-ce qu'elle est d'accord?', 'est-ce que ça la gêne?, 'est-ce que je peux regarder quand l'autre est aux toilettes?'", rapporte Héloïse Galili. "Ce sont des questions liées aux règles de vie commune qui concernent l'intimité et qui ne sont pas toujours très bien comprises." 

Lors d'une intervention en école primaire qu'elle animait, la question  "qui a le droit de toucher les parties sexuelles ?" a été posée. "Ça permet de faire de la prévention de la pédo-criminalité. Quelqu'un peut dire 'moi dans la douche, mon grand-père nettoie mon sexe', par exemple. Cela permet de détecter des situations de violences intrafamiliales qui sont malheureusement extrêmement courantes en France et il n'y a pas beaucoup d'espace pour détecter cela."

Une éducation nécessaire et pourtant peu appliquée

L'éducation à la sexualité couvre donc un champ très vaste, malheureusement si le texte de loi se veut volontaire, il n'est pas vraiment appliqué par les établissements scolaires. "Pour vous dire la vérité, l'année dernière, on a travaillé avec une seule école. En primaire, il y a très peu de demandes", regrette l'animatrice du Planning familial de Paris. "Les demandes viennent surtout des lycées et on nous demande de faire de la prévention autour des grossesses non désirées et des maladies sexuellement transmissibles."

"Moi, j’intervenais en lycée et dans la majorité des cas, c’était la première fois – voire dans le meilleur des cas la deuxième fois – que les jeunes avaient une animation autour de la vie sexuelle et affective", abonde Diane Saint-Réquier. En cause : le caractère non obligatoire de la circulaire de 2001. "Tant que ce n'est pas contraignant, il y a énormément d'élèves qui passent à côté", lâche lassée, Héloïse Galili.

Dis moi comment on fait les bébés...

Au-delà du manque d'interventions, les professionnels pointent du doigt leur qualité. "On trouve de tout dans les intervenants", nous glisse-t-on. Peut-être un moyen d'y palier partiellement, la loi Schiappa veut rendre obligatoire la "sensibilisation des personnels enseignants aux violences sexistes et sexuelles et à la formation au respect du non-consentement." Actuellement, peu d'enseignants - d'autant plus en primaire - se sentent légitimes à intervenir.

C'est bien souvent les questions portées sur la biologie qui leur reviennent. Vous l'attendiez depuis le début de l'article, la fameuse question : "comment on fait les bébés?" Cette thématique est, elle, intégrée au programme scolaire du cycle 3. Plus précisément, c'est en CM2 que tous les élèves de France ont enfin la réponse à cette question. Ouf, nous voilà rassurés.


Claire CAMBIER

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