Haine sur les réseaux sociaux : plutôt qu'une nouvelle loi, actionner le "levier de l'opinion" ?

Publié le 21 février 2019 à 18h18
Haine sur les réseaux sociaux : plutôt qu'une nouvelle loi, actionner le "levier de l'opinion" ?
Source : Eric FEFERBERG / AFP

MODÉRATION - La proposition de loi de Laetitia Avia contre la haine en ligne sera débattue à l'Assemblée nationale en mai prochain, comme l'a rappelé Emmanuel Macron en réagissant, en marge du dîner du Crif le 20 février, à la recrudescence d'actes antisémites. Ce texte prévoit des "solutions concrètes" pour répondre à la "prolifération des contenus haineux sur Internet". Mais la modification de l'arsenal législatif déjà existant en la matière est-elle la seule réponse à apporter ?

Une nouvelle loi pour en finir avec la haine en ligne. Tel est le projet porté par la députée LREM de Paris Laetitia Avia, rédactrice d'une proposition qui sera débattue en mai prochain à l'Assemblée. Un texte qui vise "à répondre à la prolifération des contenus haineux sur Internet par des solutions opérationnelles, concrètes, immédiatement applicables et conformes à la liberté d'expression".  

Sur le papier, cette proposition de loi semble sortir l'artillerie lourde pour lutter, notamment, contre les manifestations de racisme et d'antisémitisme en ligne, comme l'a rappelé Emmanuel Macron le 20 février en marge du dîner du Crif. Parmi ses principaux piliers, on retrouve une "obligation pour les grosses plates-formes de retirer tous les contenus manifestement illicites, au plus tard 24 heures à compter du signalement", "un mécanisme de signalement simplifié pour les victimes" (via un bouton unique, ndlr), "la levée de l'anonymat lorsque des délits sont commis", ainsi que le "blocage définitif des sites qui propagent des contenus haineux". Par ailleurs, la proposition de loi de Laetitia Avia souhaite instaurer des "sanctions financières dissuasives, à hauteur de plusieurs millions d'euros" pour les plates-formes qui ne consentiraient pas à retirer les contenus tombant sous le coup de la loi. 

Une loi à tout prix ?

Mais que peut une loi contre la puissance sans mesure des géants du web, que sont Twitter et Facebook ? La législation nationale est-elle le meilleur outil pour faire d'Internet un milieu plus sain ? Laetitia Avia en est persuadée. Dans une interview donnée au Monde jeudi 21 février, elle dit ne pas voir d'autre alternative que de renforcer l'arsenal législatif : "Il n'est pas adapté aux pratiques actuelles des réseaux sociaux" dit-elle. "Notre arsenal législatif repose essentiellement sur la loi de confiance sur l'économie numérique qui date de 2004. Soit avant l'arrivée de Facebook en France. Il est donc nécessaire de modifier des dispositions de cette loi pour rendre plus systématique le recours à la justice, et permettre à cette dernière d'être plus efficace."

Dans le débat qui entoure la violence en ligne, nombreuses sont les victimes de propos racistes ou sexistes, par exemple, qui dénoncent l'absence de modération et la difficulté à retrouver les auteurs de ces messages dans le cadre d'une plainte. Olivier Ertzscheid, professeur en sciences de l'information à l'université de Nantes, est d'accord avec ce constat : oui, il y a bien un problème avec la modération en ligne (face au flot d'injures antisémites impossibles à modérer, France 3 Alsace a dernièrement dû cesser la diffusion de son Facebook live en direct du cimetière juif de Quatzenheim). Il précise toutefois auprès de LCI : "Il faut malgré tout différencier Facebook - qui a recruté des gens pour faire de la modération - et Twitter - qui se repose encore sur une modération algorithmique". Mais sur les moyens à mettre en oeuvre, cet enseignant se montre davantage sceptique. 

Menaces de sanctions financières

"Éradiquer la quasi-totalité de tous les types de haine, antisémite, raciste, homophobe, sexiste… sur les réseaux sociaux, au regard de la démocratisation d’Internet, me paraît tout à fait impossible" explique-t-il. "Ce serait comme essayer d’éradiquer les discussions sur la place du village ou au café du commerce."

Selon lui, toute la difficulté réside dans le bénéfice que tirent les plates-formes de ce types de propos. "Les discours de haine sont minoritaires à l’échelle de la quantité de l’information sur le web, mais c’est une minorité visible. La prime est donnée à ces discours excessifs et radicaux qui génèrent le plus d’interactions. C’est ce qui nourrit le modèle économique des plates-formes. Leur posture, par rapport à ces discours, est donc très ambivalente." Quant aux menaces de sanctions financières qui pourraient bientôt être inscrites dans la loi, notre professeur "n'y croit pas une seule seconde". "Cela fait plus de dix ans qu'on menace ces plates-formes d'amendes. Cela ne fonctionne pas et ne fonctionnera pas plus maintenant. Par ailleurs, Facebook se moque d'une amende au regard des bénéfices qu'il engendre."

Le levier de l'opinion

Quelle solution apporter alors si, du point de vue des spécialistes, une nouvelle loi n'aurait aucun caractère utile ? Olivier Ertzscheid ne voit qu'un levier, celui de l'opinion. "La seule chose qui peut amener la modération à être plus efficace, c'est ce que pensent les gens de leur service. Chaque fois qu'elles ont reculé - par exemple Facebook sur la vie privée - ce n'était pas à cause d'une potentielle amende mais parce qu'elle pouvait perdre des utilisateurs." Il nuance toutefois son propos : "Il faut de la régulation, bien sûr. L'idée n'est pas de dire que les lois ne fonctionnent pas. Mais l'arsenal législatif qui existe déjà est suffisant. C'est simplement qu'il faut le faire appliquer."


La rédaction de TF1info

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